Afrique des grands lacs : nouvelle donne géopolitique en perspective

2/02/2009

Une solution afro-africaine sans précédent
A quoi devrions-nous assister ?

L’événement semblait avoir échappé aux projecteurs des chaînes médiatiques internationales lorsqu’elles étaient tournées vers l’entrée solennelle de Barack Obama à la Maison Blanche.

Pourtant, la nouvelle avait tous les attributs d’un sujet médiatique à portée mondiale.

Pour la première fois, et ce après plus d’une décennie d’une guerre très meurtrière, une solution afro-africaine sans précédent a été mise en branle.

De commun accord, le Rwanda et la RDC ont décidé d’agir main dans la main, pour neutraliser les deux principales rébellions armées, dont ils s’accusaient réciproquement le soutien. Ce nouveau développement présage une nouvelle donne géopolitique dans la région. Dans les prochaines lignes, nous allons tenter d’analyser les susceptibilités qui charpentent ce nouveau scénario.

Regard sur le nouveau scénario à l’Est de la RDC.

D’emblée, on a vite constaté que ce projet mis en marche pour pacifier l’Est de la RDC n’a pas fait l’affaire de tous les concernés. Le premier perdant de ce « deal » rwando-congolais a été le général Laurent Nkunda, chef du CNDP. Suite aux récentes victoires militaires de son mouvement, il s’était forgé une stature d’acteur incontournable. Auréolé par ses triomphes sur terrain, il avait rehaussé le ton et majoré l’enchère. En plus de la sécurité des Tutsi congolais du Kivu, (ce qui était son leitmotiv initial), il exigeait désormais des gains sur le plan politique, allant même jusqu’à menacer de renverser le président Joseph Kabila. Ses multiples déclarations intempestives semblent avoir déplu (notamment l’exigence de renégocier les contrats conclus avec la Chine). Mais plus encore, le Rwanda ne supportait pas le fait de voir son nom associé aux exactions commises par le CNDP. Un rapport des Nations Unis allant dans ce sens, venait de lui valoir la suspension de l’aide de deux de ses importants bailleurs européens. La liaison inavouée avec le CNDP de Laurent Nkunda devenait de moins en moins bénéfique pour le gouvernement de Paul Kagame. En même temps, la menace représentée par la présence des génocidaires installés à l’Est de la RDC était toujours réelle.

La perspective de l’éradication du FDLR par une force conjointe rwando-congolaise a privé le CNDP de sa première raison d’être. C’est cette situation, semble-t-il, qui est à la base de la dissension au sein de ce mouvement, qui s’est traduite par le limogeage de Laurent Nkunda par son chef d’état-major, le général Bosco Ntaganda. En réaction à l’annonce de sa déchéance, Laurent Nkunda a aussitôt fait un démenti catégorique, pour démontrer que c’était lui qui détenait toujours les commandes au CNDP. Ces querelles intestines ont visiblement affaibli le pouvoir du grand chef rebelle. Cependant, il reste populaire et il est considéré par ses nombreux partisans comme victime d’un « deal » qui répond aux intérêts géostratégiques. Le nouveau projet rwando-congolais pour la pacification du kivu porte un sérieux coup aux visées politiques de Laurent Nkunda. Et si l’opération de neutralisation du F.D.L.R était couronnée de succès, le CNDP risquerait fort de voir son poids s’affaiblir, voire être rayé de l’échiquier politique congolais. Néanmoins, il est trop tôt de s’avancer vers la probabilité de cette orientation.

La neutralisation des rebellions armées installées à l’Est de la RDC est une décision qui semble avoir obtenu la bénédiction des puissances étrangères. D’ailleurs, l’intervention de l’Ouganda sur le sol congolais pour pourchasser les combattants de la Lord Resistance Army (Armée de Résistance du Seigneur) s’inscrit dans ce même cadre. Après l’échec de la MONUC et les multiples défaites des FARDC, la RDC ne perdait rien à essayer cette nouvelle voie, pour tenter de pacifier une partie de son territoire.

La réaction ne s’est pas d’ailleurs faite attendre. En apprenant la désintégration du CNDP et l’arrestation de Laurent Nkunda, le président Joseph Kabila aurait poussé un ouf de soulagement et proclamé la fin de la guerre au Kivu. Il devrait cependant tempérer ses jubilations, car la neutralisation d’une rébellion n’est pas une mince affaire. Au moment où nous rédigeons ces lignes, certaines sources annoncent qu’en représailles aux attaques dont ils sont la cible, les combattants du FDLR auraient retrouvé leur réflexe génocidaire et massacré à la machette trente six citoyens congolais innocents. On peut rappeler que c’est en vertu de cette même logique insensée que le génocide contre les Tutsi a été perpétré en 1994 au Rwanda, sous prétexte de dissuader l’avancée des troupes du FPR.

La RDC doit aussi composer avec un autre irritant qui n’est pas moindre. En effet, au plus fort de ses démêlés antérieurs avec le Rwanda, une campagne de diabolisation des rwandais en général et des Tutsi en particulier a été orchestrée et ses résonances se faisaient entendre dans tout le pays et même dans des milieux officiels à Kinshasa. Cela a généré une haine terrible qui perdure encore au sein de la population congolaise, qui est palpable même dans sa diaspora basée en Occident. La première conséquence de ce sentiment xénophobe est la sortie publique de certains parlementaires, qui ne tolèrent pas une nouvelle présence des soldats rwandais sur le sol congolais, quand bien même ils sont dans une mission de pacification de leur pays. C’est pour cette raison que l’arrivée des soldats ougandais, n’a fait aucun bruit, alors qu’ils sont dans une mission tout à fait identique.

La diplomatie française ne sait plus sur quel pied danser !

Suite aux développements de ces derniers jours, Paris semble avoir essuyé un sérieux revers diplomatique. Ses aspirations à rester maître d’œuvre dans cette région s’envolent de plus en plus. D’un échec à l’autre, l’influence française s’effrite de plus en plus ! Il y a lieu de faire remarquer que la France a posé plusieurs gestes pour marquer sa présence dans la résolution de cette guerre qui a ravagé l’Est de la RDC. La première initiative française qui a échoué, est celle d’encourager l’implication militaire l’Union Européenne au sein de la MONUC. Un deuxième échec cuisant est lié aux tractations infructueuses, (entreprises en coulisse), en vue de convaincre l’Angola d’intervenir militairement aux côtés des FARDC, avec l’appui logistique de Paris. On dit également que c’est la France qui serait derrière la nomination d’un commandant de la MONUC d’origine espagnole dont, en passant, la mission fut étrangement éphémère. Enfin la plus récente idée qui a été exprimée par le président français, amuse franchement plusieurs observateurs ! Nicolas Sarkozy aurait proposé comme solution à ce conflit, l’exploitation conjointe des richesses du Kivu par le Rwanda et la RDC ! On dirait qu’il prend des africains pour des gamins qui ne savent pas quoi faire ! Il sait pourtant très bien que ce n’est pas l’aspect matériel qui est à l’origine de la situation actuelle. Au lieu de s’attaquer à la cause, Paris met l’accent sur les conséquences, pour continuer à mieux pêcher dans l’eau trouble. La vision matérialiste de Nicolas Sarkozy démasque la tactique habile de son ministre des affaires étrangères, qui excelle dans l’exploitation diplomatique de l’émotion liée à toute détérioration des conditions humanitaires. On est curieux de voir l’attitude qu’il va adopter dans les prochains jours ! De toute évidence le sort des millions de congolais, tout comme celui des rwandais en 1994 ne préoccupe guère l’Élysée.

La persistance à couvrir ses encombrants anciens alliés génocidaires a mis la France dans une position délicate. Mais pire encore, son refus d’avouer ses torts d’avoir soutenu jusqu’au bout l’ancien régime génocidaire au Rwanda, rend Paris vulnérable sur la scène diplomatique africaine. En reconnaissant l’absence des armes de destruction massive en Irak, les Etats-Unis ne se sont-ils pas mieux tirés d’affaire ? L’opinion publique attribue ce scandale à Georges Bush et son équipe, nul ne peut aujourd’hui en vouloir à Barack Obama et son administration. Tandis qu’en France, les torts du gouvernement de feu François Mitterrand ont été légués en héritage à tous les gouvernements qui lui ont succédé, qu’ils soient de gauche ou de droite ! Qu’est-ce que Nicolas Sarkozy proposera d’intéressant à ses interlocuteurs africains lors de sa prochaine visite à Kinshasa ? L’aide financière au développement ? Ce serait une promesse peu crédible, puisqu’il a déjà dit aux français que les caisses de l’État sont vides. Se comportera-t-il une nouvelle fois en donneur de leçons, comme il en a l’habitude ? L’attitude la plus sage serait qu’il se mette d’abord à l’écoute de ses interlocuteurs africains, avant de se prononcer sur quoi que ce soit. Pour redorer son blason, Paris dispose d’une occasion en or pour prendre ses distances vis-à-vis du F.D.L.R qui, par ailleurs figure sur la liste américaine des organisations terroristes. La condamnation officielle des génocidaires rwandais en cavale par Nicolas Sarkozy serait considérée comme signe de bonne foi de Paris. On peut rappeler que jusqu’à présent, seul Bernard Kouchner l’a fait, même si cela lui a valu les foudres des gourous de l’ère mitterrandienne.

En renonçant à la voie belliqueuse encouragée et soutenue par Paris, Kinshasa semble avoir compromis les intérêts de la France dans « sa zone d’influence » ! Les compagnies d’armement qui approvisionnaient la rébellion ciblée, risquent de perdre un marché juteux, advenant la pacification totale de l’Est de la RDC. Dans tous les cas envisageables, la France se trouve diplomatiquement en mauvaise posture.

Paradoxalement, le retour à la paix au Kivu compromet aussi la présence de la MONUC ! Cette mission onusienne très critiquée pour son inefficacité, se voit déjà condamnée à jouer un rôle secondaire, dans une zone où elle était censée être l’actrice principale. Et si l’opération rwando-congolaise portait fruit, la MONUC serait obligée de plier bagage, ce qui entraînerait un chômage immédiat des milliers de fonctionnaires et de casques bleus qui sont sur place.

A quoi devrions-nous assister ?

Dans cette opération militaire menée de commun accord par deux États souverains, la MONUC sera obligée de jouer le rôle semblable à celui de la Croix-Rouge, en prodiguant des soins aux blessés et en fournissant l’aide alimentaire aux populations civiles. La pression diplomatique ne jouera qu’un rôle symbolique et peu contraignant. Dans les circonstances actuelles, ni le Rwanda, ni la RDC ne pourront être blâmés ! Même si la situation se détériore, il sera difficile de condamner qui que ce soit, dans la mesure où la communauté internationale s’était montrée jusqu’à présent incapable de résoudre ce conflit. La solution idéale serait que le FDLR capitule pour éviter un bain de sang inutile, d’autant plus qu’il ne dispose d’aucun soutien politico-diplomatique officielle.

Cependant, toute guerre étant susceptible d’avoir des ramifications imprévisibles, il n’y a que l’avenir qui nous éclairera sur la tournure de ce projet unique et sans précédent. Déjà il est fort probable qu’il ne durera pas deux semaines comme cela avait été annoncé. Cette opération connaît également une lacune majeure. Il s’est avéré qu’on ne peut pas déclencher une guerre sans campagne médiatique qui la soutienne pour éclairer son opinion. C’est d’autant plus important que dans le cas de la RDC, ce projet se déroule sur fond d’un sentiment hostile, longtemps cultivé envers l’un des acteurs principaux, à savoir le Rwanda. Si les succès sur terrain tardaient à se matérialiser au bénéfice de la population locale, la tâche risque d’être plus compliquée par la grogne populaire. Si la pacification de l’Est de la RDC devenait effective, Paul Kagame aura réussi pour la seconde fois son pari, là où la communauté internationale avait échoué et le Rwanda inscrirait triomphalement son nom dans les annales. On ne peut qu’espérer qu’il s’agira d’un dernier épisode d’une page sanglante qui endeuille cette région d’Afrique depuis bientôt quinze ans.

Jean-Claude Ngabonziza

Ottawa (Canada)

Jean-Claude Ngabonziza est le correspondant de GOLIAS pour l’Amérique du Nord

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