Birmanie : Des élections en trompe l’œil

FARId - 9/11/2010

Point de vue
Farid Ghehiouèche, Amis de la Birmanie démocratique

La Birmanie est toujours aux mains des militaires et des castes "affairistes" qui contrôlent toute l’économie. Qui observera le bon déroulement des élections du 7 novembre prochain ?

Le 27 mai 1990, la Ligue nationale pour le démocratie (LND) remportait 82 % des sièges, et déjà Mme Aung San Suu Kyi était assignée à résidence depuis plusieurs mois. Vingt ans plus tard, elle est toujours recluse dans sa maison, et toujours réduite au silence. Mais cette fois, la junte militaire a balisé le terrain, en dotant le pays d’une constitution sur mesure pour que l’armée conserve un rôle prépondérant, au-delà des élections prévues le 7 novembre.

Pourtant le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki Moon, déplorait que ces élections ne puissent se tenir dans un contexte apaisé, après la libération de tous les prisonniers politiques qui pourraient alors éventuellement y participer. Il assurait aussi que cette séquence électorale, ante-pénultième étape d’une "feuille de route pour la démocratisation", serait plus crédible si la lauréate du prix Nobel de la paix était libre.

UN PAYS ÉCRASÉ PAR LES MILITAIRES

Son parti (LND) boycotte le processus car la Constitution et la loi électorale adoptées en 2008 ne garantissent pas la restauration de la démocratie et le respect des droits de l’homme. Même si la junte militaire, dans un ultime effort, parade : en affirmant que la "dame" est inscrite sur les listes électorales (alors que la junte a dissous son parti), ou qu’elle sera libérée au terme de sa condamnation prononcée l’an dernier pour avoir accueillie – involontairement – un touriste "illuminé" ayant rejoint à la nage sa résidence surveillée jouxtant le lac Inya.

Dans ce pays qui inspira George Orwell autant que le régime actuel s’en inspire (La ferme des animaux, 1984), où locaux et touristes sont épiés dans leurs moindres faits et gestes, il paraît totalement illusoire qu’une telle action de bravoure puisse avoir existé, sans qu’elle ait été programmée à l’avance par le pouvoir militaire. En effet, cela a permis aux généraux de trouver une opportunité "légale" au maintien dans sa maison-prison de l’icône de la résistance non-violente.

COMMISSION D’ENQUÊTE INTERNATIONALE

"Chantage abject, manipulation honteuse", c’est avec ces mots que la communauté internationale a accueilli les déclarations du ministre des affaires étrangères birman, à propos de la libération de Mme Aung San Suu Kyi qui serait prévue cette fois pour le 13 novembre. Mais comment pourrait-il en être autrement depuis son outrancière prolongation à résidence après l’incident du nageur ? A moins d’une énième volte-face des militaires pour le cas où une fois encore le résultat des urnes ne leur soit pas favorable et qu’ils préfèrent alors les ignorer en ne les promulguant pas.

Les commentaires à propos des élections à mi-mandat aux USA risquent de totalement occulter le déroulement et l’issue de ces "élections" organisées en catimini, sans même que des observateurs étrangers puissent témoigner de leur déroulement. En France, ces élections en Birmanie seront sans aucun doute passées quasiment sous silence pour deux raisons au moins : la visite d’état du président chinois Hu Jintao du 4 au 6 novembre, et le fait que la France prenne la présidence du G20, à partir du 12 novembre.

Et pourtant, l’actualité birmane est grave. Tout d’abord, il y a les déclarations d’Hillary Clinton, chef de la diplomatie US, soutenant officiellement la création d’une commission d’enquête internationale sur les crimes contre l’humanité perpétrés massivement en Birmanie : le recours au travail forcé, les déplacements de population, la pratique du viol comme arme de guerre à l’encontre les minorités ethniques nationales… Des pratiques "systématiques et généralisées" qui sont aussi celles constatées sur le chantier du gazoduc Yadana de la société pétrolière française Total. Des crimes imprescriptibles.

UN RAPPORT DONT IL FAUDRAIT SAVOIR SE RACHETER ?

Remuons le couteau dans la plaie. Total a été partiellement blanchit en 2003 par le rapport commandé (et payé) à Bernard Kouchner Consulting, même si la méthodologie et le contenu de ce rapport prêtent le flanc à critiques. Mais cela ne cachera pas le fait, que Total a dédommagé "à l’amiable" les plaignants birmans qui avaient déposé plainte au tribunal de Nanterre en 2002, plutôt que d’avoir à entendre devant les juges les témoignages de neuf personnes courageuses, victimes des exactions de l’armée au bénéfice de Total.

On se souviendra aussi qu’en 1994, Bernard Kouchner signait la préface d’un livre Birmanie : Dossier noir dans lequel il appelait aux sanctions à l’encontre du pouvoir militaire birman. Il estimait à l’époque que le silence était le meilleur allié de la junte militaire.

Quinze ans plus tard, le pouvoir des militaires s’est renforcé grâce à l’investissement de Total. Une manne financière importante ayant servi de garantie pour des achats d’armements, autant qu’au blanchiment de l’argent sale du trafic de drogues. "Premier soutien de la junte" selon les mots d’Aung San Suu Kyi. Total ne pouvait l’ignorer, le constat est sans appel. Les retombées économiques de l’exploitation gazière n’ont pas bénéficié à la population, bien au contraire. La politique de "l’engagement constructif" défendue par Total en Birmanie a profité à une caste d’affairistes en lien avec l’armée qui contrôle tous les rouages de l’économie.

Aujourd’hui, le silence du ministre des affaires étrangères de la France est odieux. Le "french doctor", si prompt à donner des leçons, promoteur du "devoir d’ingérence", qu’a-t-il fait ? Rien, sauf continuer à défendre l’implication et les intérêts de Total en Birmanie. Alors que son départ prochain du gouvernement semble acté, n’est-il pas temps pour lui dans un dernier coup d’éclat de faire entendre une voix forte et déterminée à l’occasion de la visite du président chinois ? Ne peut-il pas, au nom de son attachement aux principes démocratiques qu’il continue à proclamer, conduire une délégation (officielle) qui se chargerait d’observer le déroulement des élections prévue le 7 novembre ? Il devient urgent pour lui de se conformer aux mots qu’il employait dans un post-scriptum du rapport dédouanant la responsabilité de Total. Il y écrivait : "L’indifférence ou le silence seront, un jour, considérés comme coupables. Aung San Suu Kyi doit sortir de prison". CQFD.

Farid Ghehiouèche, Amis de la Birmanie démocratique

Animateur du collectif Cannabis Sans Frontières - CSF.

Cannabis Sans Frontières
38 rue Keller
75011 Paris
Tel : 09 52 73 81 53

 9/11/2010

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