Kadhafi et les marchands d'armes

3 mars 2011

Tout ne va pas mal dans cette vallée de larmes qu'est le monde, et d'ailleurs, Calderon de la Barca l'avait bien dit : “Le pire n'est pas sûr”.

Par exemple, en ces temps de crise où pas un client ne pointe son nez dans la plupart des boutiques, où même les soldes n'arrivent pas à écouler leur stock de pantalons pour dames à trois euros, et de bottines pour enfants à cinq, et bien le marché des armes se porte très bien, merci. Bien sûr, il ne s'agit pas des mêmes clients.

Quel gouvernement occidental ne s'est pas dit horrifié par les violences d'État commises en Libye ? Et pourtant. C'est hier, en 2007, que Kadhafi plantait sa tente pas loin de l'Élysée tandis que la France tentait de signer un accord portant sur une dizaine de millions de dollars d'avions de combat, de système de défense anti-aérienne, d'hélicoptères auxquels s'ajoutèrent plus tard des missiles antichars et d'un réseau de communications pour les forces de police. La note comique de l'affaire est donnée Nicolas Chapuis dans Libération : Patrick Ollier, proche de la ministre de la défense Michèle Alliot Marie et fondateur des amitiés franco-libyennes n'avait-il pas assuré que le colonel ami était en train de lire Montesquieu ? La France a par ailleurs vendu des grenades lacrimogènes à la Tunisie de Ben Ali en pleine période de troubles mais, reconnaissons-le, a cessé ses ventes d'armes à l'Égypte le 27 janvier 2011 (un marché relativement modeste de 71 millions d'euros). Le premier ministre a précisé que les éventuelles expéditions de matériels de maintien de l'ordre et matériels explosifs – dont les grenades lacrymogènes – étaient également suspendues.

Surtout, ne pas se rassurer en pensant que la France est la seule dans ce cas. Le 21 février, des mercenaires libyens brandissaient une arme anti-émeute FN 303 dite « à létalité réduite » produite par l'entreprise FN Herstal et permise à l'exportation à destination de la Libye par le gouvernement belge ; tandis que le procureur anti-mafia de Pérouse (Italie) devait révéler en 2009 l'achat de 500 000 fusils d'assaut chinois et de leurs munitions par des négociants italiens à la demande de proches du colonel Kadhafi.

Mais la vente d'armes à la Libye n'est que la Pointe de l'iceberg, comme on dirait à la télévision. Selon l'Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri), malgré la récession, « les ventes d'armes combinées des 100 firmes d'armement les plus importantes dans le monde ont augmenté de 14,8 milliards de dollars » en 2009 par rapport à 2008, soit une hausse de 8%. La croissance régulière des dépenses d'armement dans le monde est évaluée à plus de 50 % entre 2000 et 2009. Au cours de l'année passée, ces ventes ont atteint 401 milliards de dollars dont plus de la moitié au bénéfice des 45 sociétés basées aux États-Unis. Principal acheteur d'armement, les États-Unis s'autofournissent, donnant ainsi du travail à leur propre industrie. Dans la course à la première place des exportations, on apprend aussi avec plaisir que c'est le groupe de défense américain Lockheed Martin qui, en 2009, a pris la place du britannique BAE Systems avec des ventes de 33,4 milliards de dollars contre 33,3 milliards, soit 8,3 % des ventes totales pour chacun d'eux.

Les fabricants d'armes européens ne sont pas mal placés non plus puisqu'ils sont au coude à coude avec les compagnies américaines. Ensemble, ils ont totalisé 91,7 % du total des ventes d'armes en 2009, note le SIPRI. L'Europe est représentée par 33 groupes basés dans neuf pays, l'Allemagne, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Italie, la Norvège, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. Leurs ventes cumulées se sont élevées à 120 milliards de dollars et représentent 30% de la part du gâteau. Le groupe européen EADS se classe 7e et l'italien Finmeccanica 8e. Quant à la Chine “même si l'on sait que plusieurs fabricants d'armes chinois sont suffisamment importants pour figurer parmi les 100 premiers mondiaux, il est impossible de les y inclure en raison d'un manque de données suffisamment précises”, explique la spécialiste du Sipri, Susan Jackson. Au Moyen-Orient trois groupes en Israël, un au Koweït, un en Turquie vendent pour 24 milliards d'armes selon les chiffres de 2009. L'institut de recherche de Stockolm ne fait pas référence à la Russie, pourtant le premier exportateur d'armement du monde (31%), avant les États-Unis (30%). Notons toutefois qu'à l'exception de la Chine, tous ces pays de premier plan dans la vente d'armes dans le monde sont des pays tout à fait chrétien “de souche”. Et comme il ne s'agit pas ici d'être bêtement polémique, il ne sera pas fait mention des 815 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde et qui pourraient trouver quelque amélioration à leur situation avec une partie des 401 milliards de dollars dépensés en armes chaque année. Mais il est utile de rappeler que la guerre est à nouveau un objet d'étude en soi au sein de l'enseignement militaire français. Depuis janvier 2011 le Collège interarmées de défense a été rebaptisé de son ancien nom d'École de Guerre.

“Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde”, disait Albert Camus.

Nicole Muchnik

Suivi d'un article sur Henri Guiano, la « plume » du Président – et ses vacances libyennes pour Noël dernier –, ci-dessous un article de Karl Laske, dans Libération, sur Patrick Ollier, toujours ministre après le remaniement intervenu cette semaine, signe que le gouvernement n'entend certes pas se désolidariser de Kadhafi, le président du groupe parlementaire d'amitié franco-libyen siégeant ainsi toujours en son sein. À l'heure même où devrait s'engager la politique la plus résolue en défense des démocrates libyens, Nicolas Sarkozy signifie sa solidarité « sans complexes » avec le boucher de Tripoli :

Libération, le 24/02/2011

Patrick Ollier, l'ami très personnel du régime libyen

L'actuel ministre servait d'intermédiaire pour les ventes d'armes.

« Ce que je regrette, c'est la dérive du colonel Kadhafi », a déclaré, hier, sur Public Sénat, Patrick Ollier, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, et jusqu'à présent meilleur soutien du régime libyen à Paris. « Regretter ce que j'ai fait, non. Je l'ai fait dans l'intérêt général », a-t-il dit. Depuis le début des troubles en Libye, Ollier n'avait pas osé prendre la parole. Déjà empêtré avec sa compagne, la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, dans l'affaire de leur voyage commun en Tunisie, il maintient qu'il avait politiquement raison de prendre position en faveur de Kadhafi et de son régime « en mutation ».

Ses déclarations lors de l'accueil du dirigeant libyen à Paris, en décembre 2007, sont exhumées partout sur Internet. Président du groupe d'études parlementaire sur la Libye, qu'il a rebaptisé « groupe d'amitié », Ollier jure alors que Kadhafi a « totalement renoncé » à l'action violente et au terrorisme, et qu'il en a fourni « toutes les preuves ».

Cette impulsion est donnée par l'Élysée depuis la libération des infirmières bulgares en juillet 2007. Lors d'une audition devant l'Assemblée nationale en décembre 2007, Claude Guéant, le secrétaire général de l'Élysée, signale le « parcours de réhabilitation et de réinsertion » du colonel Kadhafi, et ses « réformes […] qui vont dans le sens d'un meilleur respect des droits élémentaires des individus ».

Guéant, qui a avoué un contact personnel avec Moussa Koussa, l'ancien patron des services spéciaux libyens devenu ministre des Affaires étrangères, multiplie les « voyages de travail » à Tripoli – en juin et décembre 2009, puis en juillet 2010. Déjà intervenu sous Chirac pour faciliter la vente d'Airbus à la Libye, l'intermédiaire Alexandre Djouhri accompagne les efforts de Guéant en faveur des marchés français.

C'est la fin de l'embargo vers la Libye qui a réveillé en 2004 l'appétit des industriels, et l'intérêt d'Ollier pour ce pays. Il fonde un groupe parlementaire, qu'il anime seul. « Patrick Ollier conduisait ses opérations sans nous en parler, explique le vice-président de ce groupe, le député (UMP) Didier Julia. Il ne souhaitait pas associer les parlementaires. Et quand on lui en parlait, il était très évasif. » Ollier décide lui-même des nombreux voyages - une quinzaine - qu'il effectue. « À chaque fois qu'il y avait un accord en vue avec le ministère de la Défense, c'était Patrick Ollier qui s'en occupait », précise Julia. Alliot-Marie a en effet le portefeuille de la Défense. Le général Rondot, alors coordinateur du renseignement, notera sur ses carnets des soupçons de « compromission » et des références d'enquêtes visant Ollier. Comme l'a révélé le site Mediapart, un rapport de la Direction de la surveillance du territoire (DST) signale, en juillet 2005, une enquête effectuée sur Ollier par le cabinet d'investigations Kroll pour le groupe Thalès. En cause, un marché libyen.

En 2006, année faste, Ollier annonce un prochain accord sur le nucléaire civil. Et Michèle Alliot-Marie affirme que la Libye est « intéressée par l'achat d'avions Rafale et d'hélicoptères Tigre ». En décembre 2007, c'est Ollier qui se félicite sur Europe 1 des « discussions engagées pour différents armements ». « Le colonel Kadhafi voudrait refaire sa flotte d'avions qui est tout à fait obsolète, dit-il. Je le souhaiterais pour Rafale. C'est un avion qu'on aimerait vendre. » L'industriel qui les produit, le sénateur (UMP) Serge Dassault, membre du groupe d'amitié France-Libye, ne pouvait mieux dire.

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Libération, le 01/03/2011

Les vacances libyennes de Monsieur Guaino

Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a passé ses vacances de Noël en Libye, bien avant le début de la révolte populaire qui menace le régime du colonel Mouammar Kadhafi, lors d'un séjour privé, révèlent Les Inrockuptibles à paraître mercredi.

Dans un entretien accordé à l'hebdomadaire, M. Guaino confirme avoir passé « quatre jours et quatre nuits » autour de la Saint-Sylvestre chez l'ambassadeur de France à Tripoli à titre « privé ».

« Je n'ai rencontré personne, sur le tarmac, qui m'a offert de me transporter en avion privé », a assuré la « plume » du chef de l'État en référence à la polémique sur les vacances de Noël tunisiennes qui ont provoqué le départ du gouvernement, dimanche, de Michèle Alliot-Marie.

« Nous avons même payé nos billets d'entrée pour nos visites archéologiques. J'ai payé notre billet d'avion », a-t-il poursuivi, avant de préciser qu'il n'avait pas rencontré d'officiels libyens. « Il faut sortir de la paranoïa, il n'y avait aucune rencontre, aucune discussion, aucune invitation officielle », a insisté Henri Guaino.

Le conseiller du président a également indiqué avoir informé Nicolas Sarkozy et le secrétaire général de l'Élysée de l'époque Claude Guéant. Henri Guaino confie que Nicolas Sarkozy lui a alors demandé : « tiens, qu'est-ce que tu vas faire là-bas ? » Outre le séjour tunisien de MAM, qui avait profité de l'avion d'Aziz Miled, un ami homme d'affaires réputé proche du clan Ben Ali, le Premier ministre François Fillon a lui aussi été épinglé pour avoir passé ses vacances de Noël en Égypte, à l'invitation du président déchu Hosni Moubarak.

Dans la soirée sur France 3, Henri Guaino a regretté un « amalgame » entre ces affaires n'ayant « aucun rapport entre elles » et dénoncé aussi le fait d'avoir été « enregistré à (son) insu » lors d'un échange téléphonique avec Les Inrockuptibles.

« Vous trouvez normal qu'un journaliste vous appelle, vous demande si vous avez passé vos vacances en Libye. On vous enregistre à votre insu, on en fait une interview sans vous prévenir. Est ce que vous trouvez ça déontologiquement normal ? », a-t-il demandé.

« Et ce n'est pas tout, après on fait une dépêche et on mélange avec les vacances de François Fillon en Égypte, celles de Mme Alliot-Marie en Tunisie, ça s'appelle de l'amalgame (…) Mais ça ne fait rien il faut instiller le soupçon ! », a protesté le conseiller du chef de l'État. « On va jusqu'où ? »

(Source AFP)

[Source : Libération]

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