« ETRE FAITS COMME DES RATS »

25 janvier 2009 | Raymond Bonhomme

Cette expression m'est venue à l'esprit en lisant la publication récente « Parallel assessment of male reproductive function in workers and wild rats exposed to pesticides in banana plantations in Guadeloupe » de Luc Multigner (INSERM de Rennes) et plusieurs collaborateurs, parue dans Environmental Health en juillet 2008 ; cette publication est accessible en ligne : http://ehjournal.net/content/pdf/14...

Une première série de travaux porte sur la comparaison de deux populations de rats mâles. Un premier lot a été piégé dans la région de Neuf-Château, en zones bananières du sud de la Basse-Terre de Guadeloupe ; l'autre est originaire de l'îlet Fajou, dans le Grand Cul-de-Sac Marin de Guadeloupe, donc dans une zone protégée et non polluée (au moins par les pesticides utilisés dans l'agriculture de la banane). La bonne nouvelle est que les rats des zones bananières, et qui ont consommé de la banane (« … as autopsy showed that ship rats do eat bananas »), ont en moyenne un poids supérieur à ceux de l'îlet Fajou. La mauvaise nouvelle est que la population de rats de la zone bananière a, après correction statistique soignée des autres effets, un taux de testostérone (hormone mâle majeure) très significativement inférieur à celui de la population qui a vécu hors zone bananière (environ 11 ng/mL au lieu de 19). « The observed decrease in circulating testosterone concentration may reflect an anti-androgenic effect of the substances polluting the banana fields ». Dit simplement : les rats mâles vivant en zones bananières ne sont quasiment plus des mâles. Comme la durée de vie d'un rat est inférieure à un an ce sont les pesticides actuellement employés en bananeraie qui peuvent être suspectés : organophosphorés (cadusaphos, ethoprophos, isazophos, pirimophos-ethyl, terbufos) et carbamates (aldicarbe). Mais les rats se nourrissent aussi de fruits et plantes, cultivés (comme la banane) ou sauvages, qui peuvent être contaminés par les pesticides rémanents utilisés autrefois, dont le chlordécone.

Une autre partie de la publication cherche à mettre en évidence les modifications éventuelles des caractéristiques reproductives des travailleurs de la banane. Là aussi deux lots sont constitués : un lot d'hommes travaillant dans les plantations de banane, et un autre de travailleurs manuels ou de bureau qui n'utilisent pas de pesticides dans leur travail régulier ou occasionnel. Là aussi, après une analyse statistique soignée, le résultat, semble-t-il très attendu, est annoncé : « no significant difference in sperm characteristics and/or hormones was found between workers exposed and not exposed to pesticide », ouf !

Comme je ne suis pas un spécialiste des tests de Kolmogorov-Smirnov et des analyses stratifiées, le fait que les effets ne soient pas statistiquement significatifs entre les deux groupes de personnes ne me conduit pas à une affirmation aussi catégorique que la conclusion rassurante des auteurs. Tout d'abord, si les rats vivent bien dans des espaces séparés et confinés, y compris pour la nourriture, ce ne peut être le cas pour les deux groupes de personnes qui ne peuvent donc pas être considérés comme « avec ou sans pesticides » ; toutes ces personnes se déplacent et mangent de la nourriture de différentes nature et provenance. Un point qui me fait sourire est que, pour que les analyses soient correctes, tous ces antillais ont affirmé avoir eu une abstinence sexuelle de plusieurs jours… et je me dis que la perspective de toucher 80 euros a peut-être parfois conduit à quelque dissimulation… Mais, plus sérieusement, si je ne discute pas le fait que les tests ne donnent pas de différences statistiquement différentes, les écarts entre valeurs moyennes sont quand même parfois inquiétants. Malgré mes réserves sur la totale fiabilité des deux « groupes distincts » de personnes, celles qui sont considérées comme travaillant dans les bananeraies ont, en comparaison aux travailleurs « non exposés aux pesticides bananiers », une concentration du sperme en spermatozoïdes réduite de 20% et un nombre total de spermatozoïdes par éjaculat de 231 millions au lieu de 308. Il y a donc baisse de fertilité pour les travailleurs de la banane ; l'écart devient plus important pour les personnes qui ont utilisé des pesticides durant plus de 14 ans, et qui ont donc été exposées au chlordécone. Les auteurs notent d'ailleurs cet aspect « Following stratification for the number of years of pesticide application, the association between a low sperm concentration or total sperm count and having been exposed for more than 14 years became stronger, but remained non significant »… La traduction de la dernière partie de la phrase est « circulez ! il n'y a rien à voir… »

J'allais oublier… si j'ai pensé à l'expression « être faits comme des rats » ce n'est pas parce que ce travail compare des données sur rats et sur homme, mais parce que cette expression est utilisée lorsque des personnes se trouvent dans l'impossibilité de s'éloigner d'un danger, des îliens par exemple, et sont donc condamnés à vivre une situation sans issue.

Raymond Bonhomme

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